Blatten ensevelie, le monde en sursis
Lettre ouverte à un pays qui regarde ses glaciers mourir sans rien changer.
Le 28 mai 2025, à 15h30, un fracas irréel a retenti dans le Lötschental. Une masse de glace, de roche et de boue, estimée à plus de 9 millions de tonnes, s’est détachée du glacier du Birch, balayant en quelques secondes près de 90 % du village de Blatten, joyau suspendu aux flancs des Alpes bernoises. Le hameau a été rayé de la carte.
Il n’y a pas de mots pour décrire une telle violence. Il y a pourtant urgence à en trouver.
Le murmure des montagnes ignoré
Blatten, c’était un village paisible, accroché à la montagne, protégé par la mémoire des anciens. Mais les signes de faiblesse géologique s’étaient multipliés. Le Petit Nesthorn, sommet culminant à 3 342 mètres, avait commencé à se fissurer dès la mi-mai. Puis une première masse rocheuse de 1,5 million de mètres cubes s’était effondrée sur le glacier, accélérant son mouvement à plus de 10 mètres par jour.
Les autorités cantonales, consciencieuses et prudentes, avaient ordonné l’évacuation du village dès le 19 mai. Une clairvoyance qui a sauvé plus de 300 vies. Une personne est néanmoins portée disparue, et un village entier, un lieu de mémoire, une culture alpine, a disparu dans une coulée boueuse.
Ce n’est pas un cas isolé. C’est le premier d’une série.
Un avertissement glaciaire
Ce que Blatten nous crie aujourd’hui, nous l’avons entendu ailleurs. À Brienz en 2023, menacé par un glissement de terrain. À Bondo en 2017, balayé par une coulée de débris. À Guttannen, Saas-Grund, ou encore Zermatt. Partout, la haute montagne se désagrège. Partout, le permafrost cède.
Ce n’est pas une malédiction. Ce n’est pas un hasard.
C’est le réchauffement climatique.
C’est le dérèglement que nous avons semé.
La Suisse a perdu 10 % de ses glaciers en deux ans. Nos paysages changent à une vitesse que même les géologues ont du mal à modéliser. Ce ne sont pas seulement des masses de glace qui disparaissent, ce sont nos repères, notre stabilité, nos frontières naturelles.
La complicité des climatosceptiques
Face à cela, il y a pire que le silence : il y a le mépris.
Celui des politiciens qui freinent les mesures de transition.
Celui des industriels qui négocient des dérogations pour continuer à polluer.
Celui des éditorialistes climatosceptiques qui ricanent sur les plateaux télé en parlant de « cycles naturels ».
Celui des influenceurs qui propagent le doute à coups de fausses statistiques.
À eux tous, nous dédions les ruines de Blatten.
Allez donc, grimpez là-haut. Regardez ce qu’il reste. Touchez la terre meuble, l’asphalte déchiré, les poutres broyées. C’est cela que produit votre inaction : un pays qui s’effondre sur lui-même.
Une responsabilité collective
Ce désastre n’est pas local. Il est national. Il est global. Car si les montagnes s’écroulent, ce n’est pas seulement en raison de la température, mais à cause d’un système économique extractiviste qui a normalisé la destruction.
Chaque tonne de CO₂ supplémentaire, chaque avion pris sans nécessité, chaque SUV vendu comme accessoire de statut social est une pierre retirée du socle de notre civilisation.
Et pendant ce temps, à Davos, à Berne, à Zurich, on discute, on ajourne, on relativise.
Et maintenant ?
Blatten ne pourra pas être reconstruit comme avant. Il faudra des années pour stabiliser la zone, pomper le lac qui s’est formé, gérer les risques d’inondation vers Wiler et Kippel.
Mais au-delà du béton, il faudra reconstruire notre rapport à la nature.
Ne plus penser en mètres carrés à bâtir, mais en équilibres à préserver.
Ne plus gouverner au rythme des actionnaires, mais au rythme des saisons.
Blatten est devenu un avertissement gravé dans la roche.
Ignorer ce message serait un crime contre l’avenir.
À Blatten, toute ma solidarité
Je pensse aux familles, aux enfants, aux anciens, aux animaux emportés. À la mémoire des lieux. À cette école vide, à ces rues muettes, à cette église ensevelie.
Je pensse aussi à ce que ce drame exige de nous tous.
Parce que les larmes ne suffisent pas.
Parce que l’émotion, sans action, devient complicité...
G.S.