Silence suisse sur Mujica : l’homme qui dérange même après sa mort
Tandis que la planète entière rend hommage à José “Pepe” Mujica, la presse suisse s’enferme dans un mutisme glacial. Aucun éditorial, aucun hommage, aucun sursaut de décence journalistique. Ce silence n’est pas une simple omission : c’est un acte politique. Il révèle l’inconfort des élites helvétiques face à une figure qui incarne tout ce qu’elles ne sont pas — l’humilité, la justice, la vérité nue.
Un désert médiatique révélateur
Depuis l’annonce de sa mort, Mujica est célébré sur tous les continents : France, Espagne, Amérique latine, États-Unis, Afrique, Asie. Des médias progressistes aux chaînes les plus institutionnelles, tous soulignent le courage, la droiture et la singularité d’un homme devenu icône mondiale. Pendant ce temps, en Suisse : néant.
Ni la RTS, ni Le Temps, ni 24 Heures, ni la NZZ, ni Swissinfo, ni aucun autre grand média n’a daigné publier un hommage consistant. Pas une tribune, pas un portrait, pas même un encadré digne d’un ancien président respecté mondialement. Ce vide n’est pas une absence : c’est une censure silencieuse. Le choix délibéré de ne pas troubler l’eau tiède dans laquelle baigne l’opinion publique.
Mujica, l’antithèse qui les effraie
Mujica n’était pas un président comme les autres. Ancien guérillero du MLN-Tupamaros, emprisonné, isolé, torturé pendant plus d’une décennie, il n’est jamais devenu aigri. Il est sorti de l’enfer pour prôner la paix, la compassion et la sobriété. Une fois au pouvoir, il a continué à vivre dans sa modeste ferme, à cultiver ses légumes, à refuser les privilèges. Il a donné 90 % de son salaire, roulait en vieille Coccinelle, et dénonçait sans relâche le consumérisme, l’hypocrisie politique et l’individualisme bourgeois.
C’est précisément ce qui le rendait dangereux pour les tenants de l’ordre établi. Mujica incarnait une vérité insupportable : on peut diriger un pays sans se corrompre. On peut être puissant sans trahir. Il était la preuve vivante qu’un autre monde est possible — et c’est cela que la Suisse officielle ne veut pas voir, encore moins montrer.
Une presse formatée par la complaisance
Le mutisme des médias suisses n’est pas une anomalie, c’est leur ADN. À force de neutralité feinte, ils sont devenus apolitiques jusqu’à l’absurde, incapables de distinguer la grandeur de l’insignifiance. La presse romande comme alémanique préfère les faits divers creux, les classements absurdes et les dépêches molles. Mais elle se tait quand surgit une figure véritablement subversive.
En Suisse, le journalisme est devenu gestionnaire, soumis, formaté. Il parle de croissance, de sécurité, d’innovation… jamais de justice, d’idéal ou de vérité. Mujica n’a pas sa place dans cette machine à banaliser l’essentiel.
Une société trop riche pour écouter les pauvres
Le refus d’honorer Mujica dit tout de notre époque. La Suisse ne veut plus de héros pauvres. Elle préfère les entrepreneurs à succès, les managers charismatiques, les financiers propres sur eux. Un homme en bottes, au langage direct, à la pensée radicale mais humaine, y est perçu comme un vestige du passé. Il dérange les sensibilités feutrées des éditorialistes, fait trembler les certitudes de ceux qui ont fait de l’argent et de la performance les nouvelles vertus cardinales.
Le silence de la presse est le reflet d’une société anesthésiée, où l’exemplarité ne vaut plus rien si elle ne génère pas de profits.
La faillite morale d’un pays riche
Ne pas saluer Mujica, c’est choisir le déni. C’est renoncer à l’intelligence, à la mémoire, à l’émotion collective. C’est abdiquer toute forme de boussole éthique. En l’ignorant, les médias suisses n’ont pas simplement manqué une actualité. Ils ont trahi leur mission.
Cette omission honteuse est un acte politique. Elle dit : “Nous ne voulons pas de cette humanité-là”. Elle affirme : “Nous n’avons que faire de ceux qui nous rappellent ce que nous avons perdu : le sens de la justice, le respect de la dignité, le courage de penser autrement.”
Honte à nous
Ce n’est pas Mujica qui manque à la Suisse. C’est la Suisse qui manque de tout ce que Mujica incarnait : droiture, simplicité, dignité. Elle manque de voix, d’horizons, de souffle. Elle se regarde dans un miroir déformé, s’admire dans sa neutralité stérile, pendant que le monde entier pleure un géant.
« Celui qui n’est pas capable de lutter pour les autres, ne sera jamais capable de se battre pour lui-même », disait Mujica. Nous n’avons même pas eu le courage de lutter pour sa mémoire.
Alors que les rédactions suisses s’enfoncent dans l’insignifiance, que les journalistes se taisent par confort ou par peur de déplaire, nous, peuples conscients, devons faire entendre une autre voix. Par respect. Par révolte. Par amour de ce qui est juste.
Parce que le silence est une trahison. Et que Mujica mérite mieux que cela…
G.S.